Municipalisme : des expériences et des projets
Ce que nous avons retenu du débat du 15/10/19 de Médiapart sur le municipalisme (lien vidéo ICI)…
Plusieurs participants de profils bien différents étaient invités sur le plateau de Mediapart et tou.te.s firent le même constat : devant l’incurie des politiques, les citoyen.ne.s/habitant.e.s devaient se réapproprier l’espace démocratique…
EXPÉRIENCE DE SAILLANS : invité Fernand Karagiannis représentant de Saillans (1250 habitants) dans la Drôme
En 2011 des habitant.e.s, pour conserver leurs commerces, décident de se regrouper pour lutter contre l’implantation d’un supermarché Casino. Ils sortent vainqueurs et grandis de cette lutte qui verra la naissance d’un collectif. En vue des municipales de 2014, le collectif décide de proposer une liste collégiale participative qui remportera les élections (56,8% des voix)…
« On a intégré collégialité et participation dans la gouvernance municipale » (Fernand Karagianis)
230 personnes, soit 24 % de la population majeure, participent aux commissions et aux Groupes « Action-Projet ».
1 hab./4 s’est inscrit à une commission participative.
Un bon résumé, datant de 2017, explique le fonctionnement collégial et participatif de la commune avec les « surprises » et les « difficultés » rencontrées (à lire ICI). Dans cet autre lien (ICI), une comparaison instructive entre le fonctionnement d’une mairie dite « classique » et celui de Saillans.
Comment fonctionne la mairie de Saillans :
C’est quoi la collégialité ? C’est le partage des tâches, du pouvoir et de la responsabilité :
- Répartition des compétences et des indemnités de fonction entre tous les élus référents et pas seulement entre le maire et ses adjoints : cela permet d’impliquer et de responsabiliser durablement l’ensemble des élus et de reconnaitre le travail fourni par chacun Tous les conseillers municipaux ont le pouvoir et le maire en est un parmi d’autres.
- Travail en binôme (ou trinôme), avec un binôme de tête (maire et 1ère adjointe) et un binôme par compétence (sept compétences identifiées). Cela permet d’éviter les prises de décisions isolées, de partager les responsabilités et le travail, d’enrichir les réflexions.
- Instauration d’un Comité de Pilotage ouvert au public (en substitution au traditionnel « conseil des adjoints ») : il constitue l’instance principale de travail et de décision à laquelle participent tous les élus 2 fois /mois (ils se sont par exemple mobilisés contre la réduction des heures d’ouverture de la poste ; ont gagné le combat pour garder un train qui devait être supprimé, etc.)
Que recouvre la Gouvernance participative de la commune ?
- Mise en place de commissions participatives sur les 7 thématiques : (finances/budget ; aménagement/travaux/sécurité ; assos/loisirs/culture et patrimoine/sports ; vivre longtemps au village/santé/social ; enfance/jeunesse/éducation ; économie et production locale ; environnement, énergie et mobilité ; transparence/information) Elles sont coordonnées par un binôme d’élus référents. Elles regroupent l’ensemble des habitants qui le souhaitent (entre 20 et 60 habitants en moyenne) et visent une réflexion générale, la définition des grandes orientations et l’émergence et la priorisation des actions concrètes à mettre en œuvre.
Il en ressort environ 21 projets / an (3 par commissions) !
- Groupes Action-Projet (GAP) : ce sont des groupes de travail pour préparer, suivre et mettre en œuvre une action/projet concrète/concret qui a été défini.e en commission. Ils regroupent sur une période déterminée, un nombre plus limité d’habitants (6 minimum) ainsi qu’au moins un élu référent.
Pour garantir participation :
- Information et transparence
- Observatoire de la participation, un outil de veille et d’appui à la démocratie participative. Observatoire de la participation est une instance d’observation et de veille quant à la mise en pratique de la démocratie participative à Saillans. Il vise à garantir le pouvoir d’agir des habitants. Il est constitué de 12 habitants : six membres non élus de l’ex-liste, six autres habitants volontaires tirés au sort. Il a plusieurs missions : il veille sur la mise en œuvre et le bon fonctionnement de la démocratie participative ; il accompagne cette mise en œuvre en apportant son appui logistique et méthodologique et en se chargeant du recrutement, de la formation et de l’outillage des animateurs. Enfin, il essaime l’expérience de Saillans (archivage, organisation d’assises).
LES OBSTACLES et/ ou DIFFICULTÉS RENCONTRÉS : « Les 2 ou 3 premières années ce fut l’euphorie » raconte Fernand Karagiannis mais il existe 2 grandes postures qui « résistent » à cette démarche :
- Le rejet
- La difficulté de s’approprier ce type de démarche. Il faut beaucoup de temps et d’investissement. Tout le monde n’est pas prêt au même moment.
- L’intercommunalité : leur démarche dérange et c’est l’ancien maire qui est choisi pour présider l’intercommunalité
POUR EN SAVOIR PLUS :
• « Saillans : la révolution participative » (article dans l’âge de faire)
• « La République de Saillans » (Sur les docks, France culture, 23/02/2016)
• » Saillans, village « utopique et pragmatique » (Magazine CQFD, mars 2019)
• « Le « pouvoir citoyen » change-t-il la démocratie ? L’expérience de Saillans vue par ses habitants » : Un groupe de chercheurs a tenté avec les habitant.e.s de Saillans une évaluation de leur démarche participative (Guillaume Gourgues, Clément Mabi, Fondation Jean-Jaurès, 14/02/2018)
EXPÉRIENCE DE COMMERCY : invité Steven Mathieu de l’Assemblée de Commercy
À Commercy (9 000 hab. environ), une expérience « jaune » (invité Steven Mathieu) :
Initiée suite au mouvement des Gilets Jaunes, l’Assemblée citoyenne de Commercy tente une nouvelle expérience démocratique.
Leur projet : « instaurer une démocratie directe, rendre la totalité du pouvoir de décision aux habitants au sein d’assemblées communales, de RIC (référendums d’initiatives citoyennes) locaux, etc. Pour radicalement changer le système à la base, et transformer les conseils municipaux en simples délégués au service des habitants.«
Pour Steven Mathieu et l’Assemblée de Commercy, « les élections sont un moyen et pas une fin« . Ils se disent « apartisans ».
Leurs questionnements :
- Constituer une liste et un programme ou pas ?
- Comment instaurer dans la durée une expérience locale ?
Ils ne veulent pas de programme et préfèrent parler de propositions autour de l’écologie, du lien social, etc.
Pour les accompagner, ils invitent la philosophe de Marseille Annick Stevens (qui travaille notamment autour de Cornélius Castoriadis et de la question de l’autonomie de la pensée) mais aussi des spécialistes (autour de l’eau, de l’autonomie énergétique, etc.).
Steven Mathieu cite comme références des initiatives comme « La belle démocratie », « Nos communes » qui proposent des outils et des documents de réflexion.
Une grande rencontre est prévue à Commercy les 23 et 24 novembre 2019, la « commune des communes », qui se veut un regroupement des listes de démocratie directe. Fédérer les listes pour que le contre-pouvoir ne s’exerce pas seulement en local mais aussi au niveau national (lire article ICI).
EXPÉRIENCE À MARSEILLE : invité Fathi Bouaroua du mouvement » Le Pacte démocratique «
À Marseille, après le drame des effondrements d’immeubles rue d’Aubagne le 5 novembre 2018 (lire article de Marsactu du 6/11/18) « il y a (eu) urgence que l’on prenne notre destin en main » déclare Fathi Bouaroua.
Le « Pacte démocratique » a rallié tous les mouvements sociaux de Marseille.
Situation à Marseille aujourd’hui : un rassemblement des partis de gauche (sauf EELV qui a décidé de faire une liste à part) et le Pacte démocratique qui compte bien participer à la gestion de la ville.
À Marseille, contrairement à d’autres grandes villes, la « banlieue » est dans la ville.
« Cette alternative ne se constituera que sur la convergence des oppositions à l’héritage de Gaudin, au néolibéralisme qui nous écrase, et aux politiques clientélistes de droits ou dites de gauche.Cette rupture doit être claire, nette et sans équivoque ! Rien de bon ne poussera sur le champ de mines que ces pratiques nous laissent en héritage. » (extrait du Manifeste du Pacte démocratique de Marseille)
Pour Fathi Bouaroua le seul souci des politiques à Marseille : chasser les pauvres et les étrangers de la ville : « Plus personne n’a envie de la faire de la politique mais après le 5/11 il est clair qu’on ne peut plus ne pas s’intéresser à la chose politique. (…) (il faut) que la politique ne soit plus un métier. »
Voilà ce que le Pacte Démocratique propose aux candidats des municipales :
- Que les programmes soient constitués avec la population autour d’assemblées citoyennes
- Avoir des élu.e.s citoyen.ne.s (les « invisibles »)
- Qu’il y ait une liste 50% partis politiques et 50% citoyen.ne.s
Mais c’est compliqué, explique-t-il, les partis ont leur propre histoire…
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE « PACTE DÉMOCRATIQUE » à Marseille :
• « A Marseille un espoir sans précédent ? » (Un article intéressant d’un chercheur en écologie sur son blog Médiapart)
• Les états généraux de Marseille (visionner la vidéo du 23/06/19 de la conclusion des 3 jours ICI)
• « Avant les municipales, des paroles et un Pacte » (article dans le journal Libération du 05/09/19)
EXPÉRIENCE À GRENOBLE : invitée : Anne-Sophie Olmos, élue grenobloise sur la liste d’Eric Piolle en 2014
Une des plus grosses difficultés : l’intercommunalité. En effet, une fois la liste élue en 2014, il y a eu une baisse des dotations ce qui représente 1 mois de budget communal en moins par an.
Ils ont donc « mis le paquet », explique-t-elle, sur la démocratie participative en s’appuyant sur 3 piliers :
- Conseils citoyens indépendants
- Budgets participatifs (/ COP (chantiers ouverts au public) sont nés pendant le mandat)
- Pétition-votation. A partir de 2000 signatures, une pétition est présentée au conseil municipal (il y a eu 10 pétitions de lancées et 3 seulement sont arrivées au seuil des 2000 signatures et seule la pétition sur la tarification du stationnement a été jusqu’au bout du processus avec un vote. Une pétition contre la fermeture d’une bibliothèque (voulue par la municipalité) dans un quartier populaire a permis l’ouverture d’un dialogue avec la mairie.
La bibliothèque est devenue aujourd’hui un tiers-lieu, un espace commun, raconte Anne-Sophie Olmos.
Aujourd’hui la ville de Grenoble organise la biennale des villes en transition…
Selon Anne-Sophie Olmos, la ville de Barcelone avec Ada Colau a réussi à « fédérer » les initiatives mais elle pense aussi que les villes ne peuvent pas tout et qu’il faudrait passer à la 6è République…
CE QU’EN PENSE UN CHERCHEUR : invité : Guillaume Gourgues, maître de conférences en science politique à l’Université Lyon 2, spécialisé en démocratie participative et participation publique. Chercheur au laboratoire TRIANGLE (né de la volonté d’aborder ensemble 3 aspects de la politique entendue au sens large du terme : l’action, le discours et la pensée politique et économique)
Guillaume Gourgues a notamment travaillé dans le cadre du laboratoire « triangle » sur la proposition du « vrai débat » lancé en même temps que le « grand débat » de Macron. (On peut retrouver sur le site, le résultat de leur travail : « Ils ne nous ont pas invités, faisons-le ensemble » en était le sous-titre.)
Selon le chercheur, « on est dans un cycle de repolitisation du local ».
Il pose une question : « Comment on va faire avec du local pour produire des alternatives écologiques et sociales pour rompre avec une direction néolibérale des politiques locales qui est aujourd’hui subie ou pas ? »
- 1er scénario : on maintient institutions telles qu’elles sont (élu.e.s, contre-pouvoirs citoyens) et on les réinvestit. Par exemple, explique-t-il, la ville de Vitry-le-François est une ville en décroissance mais pas forcément de manière participative.
- 2è scénario : le municipalisme libertaire : on part du local pour subvertir les institutions. On change la façon de faire de la politique. Pas de liste, pas de programme. On change le fonctionnement classique du conseil municipal par ex. et on fait « exploser » les institutions.
« Le municipalisme libertaire a tendance à trouver le mouvement « villes en transition » un peu fade. C’est-à-dire qu’on utilise ingénierie participative mais il y a ensuite une fatigue des militants car finalement cela ne change pas grand chose à une forme de verticalité institutionnelle et au pouvoir qu’il faudrait démonter. Il s’agit d’un mouvement de repolitisation qui se pose la question de sa radicalité » (Guillaume Gourgues)
POUR EN SAVOIR PLUS :
• « Beaucoup de maires se sont fait piéger à force de se voir en messies omniscients » (article du 22/05/19 dans le Courrier des maires)
• « La démocratie fais-la toi » (article du 29/07/18 du magazine « la relève et la peste)
• Le Festival « Curieuses Démocraties » s’est arrêté à Langres cette année (sept. 2019), pour en avoir une idée, c’est ICI.